20 novembre 2020

Écrit par Arnaud Marcilly, Directeur Associé, et Valentine Chatillon, Manager

Incursion d’Amazon dans le secteur du luxe : pourquoi est-ce une bonne nouvelle pour l’industrie ?

Amazon, l’hégémonie e-commerce même dans le luxe ?

Avec une action cotée à plus de 3 530 dollars début septembre contre 1 700 un an plus tôt, Amazon n’en finit pas de voir son cours de bourse s’envoler, signe que sa position hégémonique dans le e-commerce mondial a été notablement renforcée par la crise du Covid-19. Mais s’il est bien un secteur qui résiste encore à la volonté de la plateforme créée par Jeff Bezos de capter le maximum de la part de dépense disponible dans les portefeuilles des foyers dans le monde entier, c’est bien le Luxe. Les quelques initiatives du géant américain dans ce secteur sont pour l’instant restées sans véritable succès [1].

Aujourd’hui, Amazon retente une incursion sur ce marché, fragilisé par la crise du COVID, avec le lancement il y a quelques jours de « Amazon Luxury Stores » et promet de miser sur l’expérience en mettant ainsi à disposition des créateurs des boutiques en ligne où ils pourront exposer leurs produits. Véritable boutique dans la boutique, « Amazon Luxury Stores » apporte des codes esthétiques distincts de la plateforme « généraliste », permettant à chaque marque le respect d’une expérience se voulant exclusive ainsi qu’une véritable autonomie dans la gestion des prix, des stocks, du service client et de la livraison. Une stratégie qui ne peut que rappeler celle de la marketplace T-Mall du concurrent chinois Alibaba avec son « Luxury Pavilion » lancé en 2017 déjà. Avec « Luxury Stores », Amazon opère une véritable montée en gamme et mise sur une stratégie de désirabilité et d’exclusivité en y accordant l’accès sur invitation uniquement à certains privilégiés de surcroit membres « prime » (aux USA pour l’instant).

Alors que jusqu’à présent le secteur se pensait globalement à l’écart des initiatives des plateformes généralistes, cette nouvelle va certainement créer des secousses sur le marché du luxe et forcer les acteurs à accélérer sur le digital et se positionner plus explicitement. En effet, aujourd’hui les ventes de produits de luxe en pur e-commerce sont en hausse : elles représentent 11% de l’ensemble des ventes et devraient atteindre 20% d’ici 2022  [2]. 60% des achats de luxe intègrent un point de contact digital dans le parcours client [3]. Dans un contexte où Amazon est le premier moteur de recherche pour les achats de produits en ligne aux Etats-Unis démontrant ainsi leur pouvoir d’influence [4] (49% Amazon contre 22% pour Google).

Le luxe et le e-commerce, antinomique par nature ?

Les grandes marques de luxe, les Maisons les plus iconiques, auront peu de chance d’être vendues sur Amazon. Ces dernières n’ont pas d’intérêt à y être présentes dans la mesure où elles nourrissent une volonté farouche à demeurer indépendantes et à ne surtout pas altérer l’image de la marque et encore moins sa valeur perçue. Le principe de la maîtrise hyper sélective de réseaux de distribution très exclusifs au nom de l’expérience client s’applique, y compris – et surtout – au digital, comme autant de garde-fous contre la vulgarisation de la marque et donc de la valeur produit. Toutefois, conscientes des changements des modes de consommation, y compris pour le très haut de gamme, les plus grandes marques se sont emparées du sujet.

Prenons l’exemple de LVMH, le groupe a investi massivement dans son écosystème digital afin de maintenir son indépendance (notamment avec les sites de e-commerce en propre et 24 Sèvres). De même pour Chanel qui vend très peu en ligne et qui a investi dans Farfetch pour tester des modèles innovants en boutique où encore le groupe Richemont avec l’acquisition de Yoox Net-à-Porter, une transaction de plus de de 2,6 milliards d’euros.

Pour autant, aujourd’hui l’offre d’Amazon n’en demeure pas moins pertinente pour de nombreux acteurs et notre expertise du secteur du luxe et du digital nous permet de nourrir des convictions fortes sur les facteurs d’opportunité et/ou de risque pour les marques à nouer un tel partenariat.

Amazon Luxury Stores, une opportunité business pour les petites marques ou marques premium

Le luxe est un secteur particulièrement vaste et si l’évocation de celui-ci polarise mécaniquement l’attention sur les marques les plus grandes et les plus prestigieuses, il existe aujourd’hui une constellation de marques exclusives mais à la puissance moindre ou à la récence plus élevée pour lesquelles ce canal offre quelques avantages à considérer.

· Gagner en visibilité

Lorsqu’une marque est en quête de notoriété, passer par ce canal pourrait représenter un « quick win ». En effet cela permet par exemple à une jeune marque de communiquer sur ses créations à grande échelle.

· S’initier à la vente en ligne

Pour des marques qui n’ont pas encore pris le virage du digital, souvent par peur des investissements qu’il implique où par manque de compétence en interne, un passage sur Amazon peut être un moyen de tester le niveau d’attractivité et de gagner en expérience rapidement.

· Tester des nouveaux concepts

Certaines marques pourraient aussi opter pour ce canal de distribution afin de tester des nouveaux concepts avant de les lancer sur le site de e-commerce en propre. Par exemple sur des solutions de livraisons ou de SAV.

· Conquérir de nouveaux marchés

Aujourd’hui l’offre n’est ouverte qu’aux Etats-Unis mais il est fort probable que le concept soit étendu à d’autres géographies. Ainsi il pourrait représenter une opportunité exceptionnelle de tester rapidement, et sans investissement massif, de nouveaux marchés.

Un risque avéré de perte de maîtrise de l’environnement digital en contrepartie

Si la tentation de l’utilisation de ce canal comme accélérateur de croissance dans la conquête de nouveaux clients et de nouveaux marchés est évidente, il reste toutefois une question récurrente sur la maîtrise de son indépendance de distribution et in fine la réversibilité de sa présence sur la plateforme d’Amazon au regard des risques suivants :

· La perte de la maitrise de la relation et donnée client

L’enjeu pour les marques est de nourrir une relation intime avec ses clients. La connaissance client est devenue le nerf de guerre dans un environnement concurrentiel agressif où les marques rivalisent d’inventivité pour créer des services personnalisés dans une logique de fidélisation des clients.

Dans un contexte où la donnée client est « l’or noir », il peut être dangereux de la partager avec Amazon qui pourrait demain l’exploiter à son propre compte.

· Un rapport de force et une dépendance en défaveur des marques

Amazon n’est pas réputé pour ménager les marques. Sa stratégie consiste à proposer un maximum de produits aux clients afin de mettre les marques en concurrence et ainsi ne pas leur laisser de choix. A terme, plus le nombre de marques deviendra important, plus Amazon incarnera le distributeur incontournable. Le rapport de force peut ainsi totalement se renverser en défaveur des marques qui en deviendront dépendantes.

Amazon dispose de moyens logistiques et technologiques illimités, de ce fait les marques qui y sont présentes auront d’autant plus de difficultés à se détacher de cet environnement.

Alors que faire ?

Comme pour de nombreux secteurs ce sont les initiatives d’Amazon qui font bouger les chaînes de valeur distributives. On peut l’applaudir ou le déplorer, mais il reste factuel d’observer que la volonté d’Amazon de capturer tous les marchés oblige l’ensemble des acteurs à se positionner au regard de ses propres mouvements, de chacune de ses initiatives et bien entendu à son tempo exclusif.

Si aujourd’hui le lancement d’Amazon Luxury Stores est une bonne nouvelle, c’est d’abord parce qu’il est le symbole qu’aucune citadelle n’est imprenable et qu’aucun marché n’est à l’abri du changement des attentes des consommateurs et de leurs habitudes d’achat. Et qu’il faut s’adapter.

Avant tout, c’est l’opportunité pour les marques de reposer calmement sur la table leurs options, leurs stratégies de distribution et de maîtrise de leur environnement client. La tentation de jouer avec le feu « Amazon » est évidente et probablement pertinente pour beaucoup de Maisons. Mais elle mène avant tout à une réflexion 360 sur la maîtrise d’un « unified commerce » qui désormais, touche le secteur du Luxe.

Ainsi, Amazon vient nous rappeler combien il est un accélérateur de réflexions et de mise en œuvre de stratégies se construisant avec ou contre lui et faisant évoluer des pratiques longtemps immuables. Mais aujourd’hui plus qu’hier, il y a urgence à se positionner.

 

[1] En 2011 Amazon a lancé myhabit.com qui avait vocation à concurrencer Gilt Groupe, initiative qui a été arrêtée en 2016 ou encore Amazon Fashion qui peine à attirer des marques de luxe.

[2] True Luxury Consumer Insight – BCG

[3] Idem

[4] Emarketer, Juin 2019

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